21 septembre 2012

Rare Music : Hommage à Tony Levin et duo Sonny Simmons François Tusquès

Tony Levin Quartet Live in Viersen  Tony Levin – Paul Dunmall – Andy Sheppard – Jerry Underwood Rare Music 033
Bold Times Hannes  Bauer – Paul Dunmall – Paul Rogers – Tony Levin Rare Music 034
Language of the Spirit Paul Dunmall – John Edwards – Tony Levin Rare Music 035
Life of Dreams Tony Levin – Paul Dunmall – Evan Parker – Ray Warleigh Rare Music 036
Live at The Vortex, London  Evan Parker – Kenny Wheeler – Paul Dunmall – Tony Levin – John Edwards Rare Music 037


 
Eclairé par les peintures  tridimensionnelles et multicolores de son ami le pianiste Rob van den Broeck sur les pochettes, le batteur Tony Levin nous a légué ses derniers adieux enregistrés avant de nous quitter le 1 août 2011. Il manque à l'appel de cette chronique quelques autres cédés de cette fournée en compagnie du grand Mike Osborne, disparu lui aussi récemment et d’Evan Parker etc… Mais avec ces cinq albums aussi beaux et vivants les uns que les autres, l’auditeur pourra se convaincre de la profonde originalité de ce batteur, un des meilleurs qui aient existé dans l’univers du jazz libéré. Tony Levin est reconnaissable par son style polyrythmique qui n’appartient qu’à lui. Il jongle avec plusieurs cycles rythmiques encerclant un tempo qu’il ne souligne jamais. Les pulsations et les résonances de ses tambours voyagent comme les trois éléments qui font gronder la terre : le vent, l’eau et le feu. Un album nous fait entendre trois souffleurs sans basse, Live In Viersen et cette configuration, avec  Paul Dunmall au sax baryton, Andy Sheppard et Jerry Underwood aux ténors, met en évidence des constructions rythmiques originales qui s’accordent avec les compositions spécialement conçues pour l’ensemble. Si ce type de musique nous est familier, son architecture est inhabituelle. L’énergie combinée des trois souffleurs – cracheurs de feu  emporte tout sur son passage comme un typhon sur une mer complètement démontée au milieu du Pacifique. Les frappes démultipliées de Levin sur les peaux et les cymbales semblent se métamorphoser en crêtes écumantes et en lames agitées par un véritable Neptune jongleur. Je parle ici de constructions et d’architecture, mais la musique nous fait songer à un assemblage polymorphe en perpétuel mouvement dont les multiples articulations permettent des girations télescopiques sans que l’équilibre n’éclate. Jamais entendu rien de pareil. Ce qui m’enthousiasme chez Levin c’est cette capacité à développer son jeu personnel quoi qu’il arrive : il improvise sans arrêt tout en soignant l’ interactivité avec ses partenaires dans un groupe très homogène. Les souffleurs sont absolument exceptionnels. Life of Dreams propose une version plus douce de ce  groupe sans basse avec cet exceptionnel (encore un) mélodiste qu’est le sax alto Ray Warleigh, épaulé par les deux géants des saxophones ténor et soprano que sont Evan Parker et Paul Dunmall. Il y a des moments élégiaques et raffinés dans cette Vie de Rêves et la flûte de Warleigh s’y prend délicieusement. La suite des morceaux est parsemée de duos raffinés ou chargés d’intensité électrique quand vient le tour des deux ténors. Evan et Paul en deviennent mordants à souhait. Ray Warleigh a été longtemps un des saxophonistes de studio les plus demandés de la pop durant des décennies, mais joua souvent avec John Stevens durant les années soixante et septante. Il est  aussi un des quatre légendaires Trois Mousquetaires du sax alto du free – jazz britannique avec ses frères d’armes Elton Dean, Trevor Watts et Mike Osborne. La musique de Live in Viersen s’envole à partir de compositions, alors que pour Life of Dreams, les souffleurs improvisent des arrangements en combinant leurs souffles dans des entrelacs de phrases suspendues dans l’atmosphère, telles les facettes de cristaux de glace miroitant au soleil.   Le quartet de Bold Times intègre l’ahurissant tromboniste Hannes Bauer au trio Deep Joy (Tony et les deux Paul) dans un quadrilogue aussi énergétique qu’équilibré. Le travail du contrebassiste laisse pantois, à la fois violoncelle, contrebasse et sarangi en furie. On retrouve l’atmosphère du Chasin the Trane au Village Vanguard avec Evan Parker, Dunmall et Kenny Wheeler ad-lib drivés par la paire Tony Levin – John Edwards dans Live at the Vortex, « le » club londonien par excellence. Paul Dunmall nous fait voir comment il a intériorisé le Langage de l’Esprit avec ces deux acolytes. La puissance et l’invention du contrebassiste John Edwards se révèlent idéale pour le chant du cygne de ce batteur inoubliable. Après Elton Dean, Tony Levin est parti et les camarades de sa génération vieillissent. Mais il a légué son testament musical à la vague  suivante : Paul Dunmall, Paul Rogers, John Edwards et son fils Miles Levin, batteur lui aussi, sont les géants d’aujourd’hui. A découvrir aussi les rencontres de Miles Levin et Paul Dunmall sur les labels Duns Limited et FMR………

Sonny Simmons - François Tusquès Near Oasis   improvising beings IB 10




Sonny Simmons, un son acide et mordant, une agilité dolphyenne, une mémoire de tous les Birds de notre fantasmagorie jazzeuse, le souffle curieux du cor anglais et toujours, après tant de décennies, un appétit pour la musique libérée à l’écart des modes. François Tusquès, le pionnier initiatique du free-jazz hexagonal, propagateur multiculturel et pianiste aux tressautements authentiquement monkiens. Ici Round About M et Bolivar Blues ressuscitent ces intervalles et cette pression caractéristique simultanée sur les touches blanches et noires. D’autres pionniers européens des origines de la free music continentale ont cette filiation au plus profond de leurs veines, de leurs neurones et dans la jointure de leurs membres (même inférieurs car, oui, on « pédale » un piano !) :  Alex von Schlippenbach et Misha Mengelberg. Avec eux, François Tusquès rejoint les Ran Blake, Randy Weston et le jeune Jaki Byard. Le monkisme est à la source de l’art Coltranien, des doigtés de Sonny Rollins et de Steve Lacy. Steve a gravé Only Monk et More Monk ! On l’entend chez Evan Parker et Anthony Braxton, Lol Coxhill et John Tchicaï, Ornette et Don Cherry…  Cet art anti-académique qui déraille le piano  a influencé tous ces révolutionnaires dans une véritable transubtantiation musicale et humaine. Rien que pour cela, ce disque sera cher à ceux dont Monk a illuminé la vie. Car Tusquès ici, c’est le son de la vraie vie et son comparse en personnifie l’envol. Sonny, une légende hors norme du jazz libre des sixties et seventies, y est magnifiquement enregistré tout comme dans cette trilogie des albums « Cosmosamatics » sur le label fantôme Boxholder (avec Michael Marcus et Jay Rosen). Avant de mettre la main sur ces perles, Near Oasis est un excellent maître achat. Arrêtez de rechercher en vain le vinyle « Free Jazz » de Tusquès avec Portal et cie (disques Mouloudji 1965) et allez l’écouter à Paris ou ailleurs aujourd'hui. Vous rendez-vous compte qu’ils ont dû aller au Vision Festival à NYC pour qu’on les enregistre afin que je vous en parle ici. A l’ère d’internet et de Facebook, la jazzosphère franco-française est incompréhensible………… Heureusement, les improvising beings veillent !!





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