6 janvier 2016

SIMON H FELL SEXTET THE RAGGING OF TIME : with Richard Comte, Simon H Fell, Paul Hession, Shabaka Hutchings, Percy Pursglove, Alex Ward on Bruce's Fingers again

SFS THE RAGGING OF TIME SIMON H FELL COMPOSITION  N° 79  Simon H Fell Sextet : Richard Comte Simon H Fell Paul Hession Shabaka Hutchings Percy Pursglove Alex Ward Bruce’s Fingers BF 127


Lorsqu’on est un tant soit peu informé du travail de compositeur, chef d’orchestre et concepteur d’univers comme celui de Simon H Fell, la question se pose : “Comment se fait-il que SFH ne soit pas plus sollicité par des labels ou des festivals pour que sa musique et ses projets soient écoutés et documentés ? ».  Depuis plus de quinze ans, Red Toucan et Clean Feed  ont publié chacun un enregistrement de ses compositions de jazz d’avant-garde intégrant les avancées de l’improvisation libre et de la musique contemporaine (SFQ Four Compositions et SFE Positions & Descriptions Composition n° 75). C'est très peu en regard de la haute qualité de son travail et de la production exponentielle d'enregistrements sensés illustrer ce genre de démarche à qui ce compositeur fait sérieusement de l'ombre, une fois que l'on est conquis par sa conception musicale, la façon dont il la réalise  et son exigence artistique. Depuis l’époque du SFQ, il y eut  ce brillant grand orchestre composite pour qui interprétait / improvisait son extraordinaire Composition No. 62: Compilation IV - Quasi-Concerto For Clarinet(s), Improvisers, Jazz Ensemble, Chamber Orchestra & Electronics publié par son label Bruce’s Fingers. Peu de critiques et de personnalités « branchées » accordent la moindre importance à sa démarche. En outre, c’est un improvisateur libre impliqué dans des aventures qui semblent paradoxales : entre le noise agressif avec le guitariste Stefan Jaworzyn ou le « new silence » du trio IST avec Rhodri Davies et Mark Wastell  jusqu’aux trios free- free- jazz avec le souffleur allumé Alan Wilkinson et le batteur Paul Hession ou Badland avec le saxophoniste Simon Rose et Steve Noble, un des batteurs fétiches post-benninkiens. On peut l’entendre aussi avec le violoniste Carlos Zingaro et le violoncelliste Marcio Mattos dans un quartet exquis ponctué par la frappe de Mark Sanders et un autre quartet, celui du trompettiste Roland Ramanan toujours avec Sanders et Mattos. Et bien sûr son super duo improvisé avec Derek Bailey sur Confront ! The Ragging of Time est le fruit d’une commande du festival de jazz de Marsden : il s’agissait de faire revivre autrement la musique « jazz – hot » « New Orleans » en la transgressant et la réactualisant. Dans le troisième morceau, c’est même l’influence de Charlie Mingus qui surgit, ce qui est bien normal vu que Mingus était un fan de Jelly Roll Morton, et le thème fait allusion à Eric Dolphy. Le batteur Paul Hession, un fidèle de SHF, emporte le sextet avec légèreté entraînant la section des vents, très originale : clarinette, clarinette basse un peu dans le rôle du trombone et trompette. La batterie est clairement enregistrée avec un beau sens de l’espace et de la topographie de l’instrument, mettant en valeur les astuces du batteur. Le clarinettiste virtuose Alex Ward, souvent impliqué dans les projets du maître, développe aussi un travail d’écriture voisin dans ses propres groupes (Glass Wall and). Shabaka Hutchings a assimilé le message d’Eric Dolphy à la clarinette basse et son jeu sert habilement de contrepoids aux arabesques de la clarinette de Ward et aux envolées de Percy Pursglove. Celui-ci a un son qu’on entendrait bien dans un projet à la Gerry Mulligan, aux antipodes du son funky armstrongien de la trompette New Orleans. Mais comme la musique de Mulligan avait elle-même ses racines dans le swing et le traditionnel, cela fonctionne. Après chaque énoncé très travaillé du thème de Lebam Lebam (Un Cauchemar), la première composition de 23’, le groupe dérape et joue avec les sons, chacun des musiciens étant l’improvisateur central de la séquence improvisée. La guitare par ci, la clarinette par là avec le batteur qui décale le rythme et  éparpille les frappes sur son kit. Surviennent un mini-concerto bruitiste pour trompette ou un trio clarinette basse batterie puissant et enlevé. Aussi, des solos brefs, des arrêts sur image ou des accélérations subites, changements de registre etc… Bref on ne s’ennuie pas. C’est guilleret, léger, swingant, et surtout très bien enregistré … Pour ceux qui aiment les Ken Vandermark Five, certains projets de John Zorn comme News from Lulu, ou d’Aki Takase et compagnie jouant Fats Waller ou  réactualisant le blues. Ils seront ravis. Mais plusieurs choses  distinguent SFS de ces autres groupes auxquels je fais allusion. L’équipe n’hésite pas à surfer sur les vagues du délire plus longtemps qu’à son tour et chaque duo, trio, quartet illustre des approches différentes dans le domaine de l’improvisation libre. Suite à des écoutes répétées, on réalise que chaque séquence improvisée est indiquée dans la partition et leur réussite est le fruit d’un intense travail de répétition afin de la rendre la plus spontanée possible comme s’ils s’échappaient délibérément des contraintes rythmiques et mélodiques le plus naturellement. Simon H Fell pousse le bouchon assez loin au niveau conception de l’écriture et de la structure dans le détail. Un délice pour l’auditeur attentif ! Chaque fois que le thème de Lebam revient sur le tapis, les musiciens en jouent une variation de l’arrangement avec des différences qui portent parfois sur quelques notes révélant un éclairage différent de la mélodie, de la structure ou de la métrique. Des nuances d’exécution hésitante de la partition lorsqu’ils replongent dans le morceau « jazz » swinguant suggèrent qu’ils l’auraient abandonnée, en se jetant dans le délire improvisé, et qu’ils reprendraient son exécution à un instant précis deux pages et quelques portées plus loin, le temps de l’incartade libératrice. Stylistiquement, le compositeur a adopté l’esprit de re-création du style New Orleans (ou Chicago) plutôt que d’une exécution fidèle à la lettre. Mon opinion est qu’il évite la tentation du persiflage, mais il se trouvera bien quelqu’un pour estimer le contraire. Tout dépend bien sûr de votre familiarité avec ce style de musique, un des composantes de l’évolution du jazz dont nous nous éloignons au fil des décennies. Une des sections improvisées voit les souffleurs entourer l’improvisateur de bribes du thème qui flottent dans l’espace. Dans le deuxième morceau, Unstable Cylindrical Structure évoquant Mingus et Dolphy, la guitariste Richard Comte, le seul français du sextet est le soliste central. Son approche destroy un chouïa de trop à mon goût. Mais on sait que Simon aime les extrêmes et la tension est palpable entre le thème qui s’enroule sur la rythmique impaire et la rage froide et explosive de la guitare. Par rapport aux travaux « sérieux » de SHF (ceux-ci n’ont rien à envier à un Braxton ou un Barry Guy), The Ragging of Time a un côté fun assumé. Sans doute pour plusieurs d’entre vous, c’est le moment venu de découvrir le phénomène Simon H Fell, dont  on goûtera l’excellence à la contrebasse (il fut le contrebassiste préféré de Derek Bailey),  et le talent de ses camarades, boostés dans ce projet par l’envergure peu commune de ce compositeur – catalyseur – chef d’orchestre singulier. On trouve, entre autres, dans sa démarche une dimension temporelle unique, liée à la cohabitation interactive de styles d’écritures et d’improvisations qui s’imbriquent et interagissent entre elles de manière très originale. Simon H Fell illustre brillamment la xenochronicity chère à Frank Zappa.

Parviennent-ils à exprimer ainsi Les Usures du Temps ? C’est la question subsidiaire. L’écoute des trois compositions (il y a encore The Human Omelette, 21’)  s’avale d’une traite sans qu’on en ressente la durée, plus de 67 minutes au total et l’enregistrement reprend l’entièreté de la performance. Magnifique et magistral : les superlatifs pleuvent !!
J-M Van Schouwburg 
PS : je pense que le travail intense et très précis de SH Fell méritait vraiment que cette chronique parue tout récemment soit réécrite. Je doute qu'elle soit à la hauteur du compositeur improvisateur chef d'orchestre que quiconque (journaliste, organisateur, personnalité médiatique) se targue d'être branché en jazz contemporain d'avant-garde et autres "creative music" se doit de prendre connaissance. 

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